lundi 4 juillet 2011

Interview de Sihem Bensedrine. Fondatrice de la radio d'opposition en Tunisie "Radio Kalima"

Tenace opposante de Ben Ali , née le 28 octobre 1950 à la Marsa, dans la banlieue de Tunis, Sihem Bensedrine est une journaliste et défenseur des droits de l'Homme. Elle a étudiée en France,à l'université de Toulouse, où elle a obtienu un diplôme en philosophie avant de faire ces débuts professionnels pour le journal indépendant "Le Phare" en 1980.

Elle grimpe les échelons jusqu'à devenir rédactrice en chef du service politique pour Maghreb jusqu'en 1983. Les "émeutes du pains" et la crise qui en résultera en Tunisie auront raison de la survie du journal. Elle se tourne alors vers l'édition en 1988 et fonde sa propre maison, "Arcs" qui déposera le bilan suite à la crise des droits de l'Homme qui secouera le pays. La jeune femme persiste pourtant dans sa voie et devient directrice de la maison d'édition "Noir sur Blanc" en 1998.

Son combat pour les droits de l'Homme et la liberté en Tunisie prend un tournant quand elle fonde la même année le Conseil National Pour Les Libertés en Tunisie dont elle assume aussi le rôle de porte parole, lui conférant par la même occasion un statut d'énnemie du gouvernement en place.

Sa parole courageuse, lui servira à défendre la liberté de la presse ainsi qu'a condamner la corruption et les privilèges que s'octroient le gouvernement Ben Ali. Elle devient alors victime d'une campagne de diffamation, dans les journaux proches du gouvernement, décrite entre autre comme une prostituée, en raison de ses activités en faveur des droits de l'homme .

Un an plus tard, elle co-fonde avec Naziha Rjiba, une autre journaliste tunisienne,  le magazine en ligne Kalima. Elle sera arrêté en 2001 à l'aéroport international de  Tunis-Carthage, en représailles à une interview  télévisée dans laquelle elle dénonce les abus contre les droits de l'Homme et la corruption de la justice tunisienne. Elle est libérée un mois plus tard grâce à une campagne de soutien à la fois en Tunisie et à l'étranger (plus particulièrement en France). En 2004, Bensedrine est honorée par l'organisation Canadian Journalists for Free Expression qui lui remet un International Press Freedom Award en reconnaissance de son courage dans la défense et la promotion de la liberté de la presse.

Quelques semaines après la fuite du président Ben Ali, Sihem Bensedrine revient sur son combat et la situation toujours compliquée pour la liberté de la presse tunisienne.


Lesinfos.com : Vous avez été l'une des premières journalistes à dénoncer la corruption au pouvoir. Cette révolution et le départ de Ben Ali, c'est un peu l'aboutissement de votre combat ?

Sihem Bensedrine : C'est un peu prétentieux, je pense vraiment que c'est « notre « combat, celui des blogueurs, des manifestants, et celui de tout les Tunisiens qui ont vécus cette révolution, et qui ce sont battus contre les censeurs. C'est grâce à leur courage et à leur détermination, si Ben Ali a quitté la présidence de la Tunisie.

Quelle a été la part d'implication des femmes en Tunisie lors des révoltes ?

Les femmes se sont beaucoup impliquées, il suffit de regarder les images des manifestations à la télévision, elles étaient de partout. Cette révolution a aussi un visage féminin, les tunisiennes encourageaient même leurs enfants à descendre dans les rues. Elles ont vraiment participé à cette révolution. C'est aussi la preuve tangible que la révolte concernait tout le monde.

La situation actuelle du pays permet-elle la liberté d'expression ?

Non rien n'a changé : la liberté d'expression, fut l'une des premières revendications du peuple tunisien, avec la liberté des médias, et la liberté de ton dans la rue aussi. Aujourd’hui encore, les personnes qui manifestent sur l'avenue Bourguiba à Tunis, se font arrêter. La voix de la rue, c'est ce qui les dérange. On a coupé la tête, mais les anciens du pouvoir sont toujours la, ils sont dans la police, la justice, la société civile. Il faut impérativement leur enlever le pouvoir et que les jeunes continuent de se mobiliser. Qu'ils « dégagent » comme on dit chez nous. Qu'ils arrêtent avec la censure et la désinformation.
Pour vous donner un exemple concret, un de nos journalistes avait interviewé une vieille dame dans le nord de la Tunisie, elle lui expliquait les injustices qu'elle subissait depuis longtemps, la force de son témoignage est très importante, mais comme nous ne sommes que sur internet, cette dame ne se verra jamais, et c'est encore plus frustrant pour notre journaliste, car l'impact du net sur les Tunisiens est indéniablement moins important que celui de la radio, ou de la télé.

Justement pour Radio Kalima (la parole en tunisien ndlr) que vous avez co-fondé en 2000 avec Naziha Réjiba que va t'il se passer ?

Nous avons pris rendez vous avec le directeur de la communication en Tunisie, nous n'avons toujours pas le droit de diffuser, comme je vous l'ai déjà dit, la nouvelle institution est la même que la précédente. Nous demandons la levée de la censure, car au même moment, les radios de Ben Ali continuent d’émettre, et elles ont toutes les libertés qu’elles veulent. Le gouvernement nous demande de justifier de tonnes de critères et de moyens financiers énormes, mais ils sont dans l’illégalité la plus totale, puisque il n'existe pas d'autorité de régularisation dans notre pays. Les gens de l'ancien régime ne veulent pas de nous dans le système médiatique. L’enjeu est clair : il y a des élections le 24 juillet en Tunisie, encore une fois, la peur de nous laisser nous exprimer est flagrante. Mais nous nous battrons jusque au bout .

Qu'avez vous pensé de l’attitude de la France envers la Tunisie et des décisions prises ces derniers jours concernant les migrants Tunisiens ?

Je suis très déçue par le gouvernement français. Il a clairement cherché à maintenir Ben Ali au pouvoir et maintenant il nous considère comme des dangers publics. Il ne fait même pas un geste envers ces jeunes, un geste qui ne lui couterait rien. C'est l'avenir d'un pays qui est en jeu. La France doit se racheter, c'est lamentable.

Voir le reportage qu'Arte lui a consacré dernièrement :



Antoine Semerdjian

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire